N. Büsser u.a. (Hrsg.): Transnationale Geschichte der Schweiz

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Titel
Transnationale Geschichte der Schweiz. Histoire transnationale de la Suisse.


Reihe
Schweizerisches Jahrbuch für Wirtschafts- und Sozialgeschichte / Annuaire suisse d’histoire économique et sociale
Erschienen
Zürich 2020: Chronos Verlag
Anzahl Seiten
288 S.
von
Christophe Vuilleumier

Paru en 2020 aux éditions Chronos, ce livre s’inscrit dans une approche historiographique abolissant le cadre sacrosaint des frontières nationales en tâchant d’ouvrir les perspectives à des horizons parfois lointains. Plus qu’une méthodologie spécifique, cet élargissement du prisme de la simple histoire nationale est devenu au fil du temps une analyse classique, pour ne pas dire naturelle tant elle permet d’enrichir les compréhensions en croisant les regards sur des phénomènes régionaux ou nationaux. En cela, l’histoire transnationale illustre bien le vieux Mythe de la caverne de Platon en reléguant les sophistes d’une histoire purement nationale sur les rayons les plus poussiéreux de nos bibliothèques.

Bien entendu, si cette approche a débuté au commencement des années 1960, elle revêt de nos jours, après quelques décennies de relativisme, des contours plus militants, évoquant quelque peu les années Foucault. Un livre qui résonne donc d’une pertinence toute contemporaine à l’heure du mouvement Black Lives Matter et de ses remises en question parfois extrêmes, et du terme mis aux négociations en vue de la signature de l’Accord institutionnel entre la Suisse et l’Union européenne.

Mais s’il est édité à point nommé, cet ouvrage est le fruit d’un travail de longue haleine et collectif, entamé lors des Journées suisses d’histoire de 2016 et poursuivi avec la Journée d’étude de la Société suisse d’histoire économique et sociale de 2017. Cette publication met ainsi en œuvre certaines pistes de recherches qui avaient alors été esquissées. Politique, économique, culturelle et historiographique, telles sont ainsi les thématiques abordées par quelque vingt-deux auteurs qui nous livrent les résultats de leurs travaux et de leurs réflexions ; des historiens venus des quatre coins du pays, auxquels se sont joints des chercheurs en poste à l’étranger, en Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne ou en Norvège. Cet ouvrage intègre ainsi des horizons très variés participant inévitablement à la crédibilité du travail alors qu’il est question d’une Histoire abolie des frontières nationales. Au-delà de cette dimension, les auteurs sont bien connus des spécialistes, mais aussi, pour certains d’entre eux, du grand public.

Passer en revue chacune de leur contribution n’est guère possible dans le cadre de ce compte-rendu. Il convient toutefois de relever plusieurs textes passionnants, comme l’article fort original de Cyril Cordoba sur la propagande maoïste durant les années 1950-1960 et l’un de ses relais en Suisse, une maison d’édition dont le responsable devait être expulsé du territoire en 1967 ; ou celui d’Isabelle Lucas sur les dynamiques d’exportation helvétiques vers l’espace atlantique entre 1891 et 1937, un texte s’inscrivant dans la continuité de l’ouvrage de Béatrice Veyrassat Histoire de la Suisse et des Suisses dans la marche du monde ; ou encore celui de Marcel Brengard sur les relations économiques de la Suisse avec le Nigéria dans une acceptation un peu plus postcoloniale que le reste des contributions et dont la vision critique peine peut-être à intégrer le poids d’une tradition qui, justement, est étrangère à l’auteur. Un article au demeurant très illustratif des relations que la Suisse a puentretenir avec cette partie du monde décolonisée et dont le tableau sera complété lorsque les chercheurs auront pu avoir enfin accès aux archives portant sur les liens entre la Confédération et l’Afrique du Sud au temps de l’Apartheid.

L’ouvrage égrène ainsi des études de cas auxquelles il serait possible d’ajouter de très nombreux autres exemples tant il est vrai que la Suisse et les Suisses entretiennent des liens étroits, parfois même organiques, avec les territoires au-delà de leurs frontières. Simon Teuscher le démontre magistralement dans le volet théorique de l’ouvrage, en observant que la recherche des traces de l’histoire d’une nation ne peut être envisagée qu’au travers des interconnexions qu’entretiennent des sociétés contemporaines. Mais il est vrai que ce dernier est professeur d’histoire médiévale et que la notion de frontière est toute relative lorsque l’on aborde les siècles du Moyen Âge, la maîtrise des territoires relevant alors d’une complexité de droits féodaux inhérents à des fiefs imbriqués au sein de multiples relations seigneuriales impliquant tant des individus que des communautés entières.

Figure tutélaire d’une historiographie suisse décomplexée, à ses heures provocatrices, mais ô combien stimulante, Jakob Tanner présente la nation, quelle qu’elle soit en définitive, comme une entité évoluant en permanence en fonction de « champs de force transnationaux » ; une proposition permettant à Jakob Tanner d’interroger la légitimité de la souveraineté des États. Cette théorisation s’aligne sur les réflexions d’Andrew Zimmerman qui suggère, quant à lui, d’écrire l’histoire en adoptant une combinaison mêlant approche transnationale et « historiographie multisituées » dans une dynamique analytique de nature caléidoscopique dont on ne peut que craindre qu’elle échappe au profane.

In fine, ce livre démontre que si l’histoire possède des facettes multiples, il lui appartient de mettre en lumière l’interconnectivité, de la Suisse en l’occurrence, avec le reste du monde pour mieux en expliquer les dynamiques qui l’ont parcourue au cours des cent-ciquante dernières années. Un constat, évident pour un grand nombre, permettant d’ouvrir de nouvelles perspectives et des contextes historiques élargis contrairement à une historiographie restée trop longtemps nationale. Il n’en demeure pas moins que la « nation », en tant que construction intellectuelle, représente inévitablement un point de départ pour toute analyse transnationale et fonctionne à l’égard de cette dernière comme catalyseur, ce d’autant plus que des éléments de traditions locales – de prime abord déconnectés socialement et géographiquement – peuvent apparaître originaux et parfois questionner les observations réalisées dans le cadre d’études transnationales.

Faut-il dès lors estimer que cet ouvrage fait œuvre politique, en participant à la déconstruction du mythe de la Suisse, au même titre que le roman national qui, en mettant en avant une image tronquée du passé, se révèle comme l’un des outils principaux de la construction identitaire des États-nations ? Les lecteurs se feront leur avis en se rappelant peut-être que toute distance temporelle est source de subjectivité et que la construction d’un passé participe d’une reconfiguration propre à une dialectique articulée en fonction d’une contemporanéité balisée par des impératifs et des enjeux souvent éphémères.

Zitierweise:
Vuilleumier, Christophe: Rezension zu: Holenstein, André: Rezension zu: Büsser, Nathalie; David, Thomas; Eichenberger, Pierre; Haller, Lea; Tobias, Straumann; Wirth, Christa (Hg.): Transnationale Geschichte der Schweiz. Histoire transnationale de la Suisse, Zürich 2020. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 209-211.